Isabelle Eberhardt L’amoureuse du Sahara

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DZSatien Légendaire
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14/4/11
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[h=1]Vêtue en cavalier arabe, chevauchant son étalon sans jamais se fatiguer, sa vie réelle et son œuvre se confondent. Terriblement moderne par sa volonté de se créer une identité avec la seule force de son désir, et de s’affranchir des valeurs de sa culture d’origine, elle est un modèle pour tous ceux qui rêvent d’un ailleurs moins matérialiste. "Nomade j’étais quand, toute petite, je rêvais en regardant les routes, nomade je resterai toute ma vie, amoureuse des horizons changeants, des lointains encore inexplorés. »


Fille illégitime d’une aristocrate slave neurasthénique et d’un précepteur anarchiste, Isabelle Eberhardt hérite, en naissant, d’une histoire familiale tourmentée : des frères aînés alcooliques et déséquilibrés, une demi-sœur qui accuse Alexandre Trophimovski, le père d’Isabelle, d’abus sexuels. Augustin, le seul frère qu’elle chérisse, est toxicomane et, selon la romancière Edmonde Charles-Roux dans Isabelle du désert, leurs relations sont à la limite de l’inceste. Pas d’école, son précepteur de père lui enseigne les lettres, les arts et les sciences. Et à 18 ans, elle publie ses premiers textes (Infernalia, Vision du Maghreb) qui, la plupart, racontent une Algérie dont elle n’a pas encore foulé le sol. Déjà, elle rêve de l’autre rive de la Méditerranée. Les cheveux coupés courts, toujours habillée en garçon, signant ses écrits de pseudonymes masculins, Isabelle la rebelle se situe quelque part entre George Sand et Arthur Rimbaud. Elle aurait facilement pu devenir une dépressive pathologique : « Il y a toujours ce fond insondable de tristesse sans cause connue, qui est l’essence même de mon âme. » Elle prend le parti de faire de sa vie un roman. Mieux, elle sera elle-même une sorte de personnage romanesque farouchement anticonformiste. La vie est mouvement
Saint Augustin qualifie l’homme d’homo viator, de passager, de voyageur. Nous ne sommes là qu’en transit. Isabelle Eberhardt a-t-elle lu l’œuvre de l’évêque d’Hippone ? Elle partage en tout cas sa conception de l’existence. Pleinement consciente de l’« impermanence » des choses et des êtres, elle invite le lecteur à l’acceptation d’un réel nécessairement mouvant : « Jouissons du moment qui passe et de la griserie qui bientôt sera dissipée… La même fleur ne s’épanouit pas deux fois, et la même eau ne baigne pas deux fois le lit du même ruisseau. » Selon elle, « le charme poignant de la vie vient de la certitude absolue de la mort. Si les choses devaient durer, elles nous sembleraient indignes d’attachement. » (Dans l’ombre chaude de l’islam, Actes Sud, 1999).
La spiritualité pour oublier la mort
Le rapport qu’entretient Isabelle avec la mort est pourtant loin d’être serein. Rien ne parvient à lui faire oublier les êtres chers qu’elle a perdus – son père, sa mère, ou son frère Augustin dont elle est séparée. Sa conversion au soufisme, la branche mystique de l’islam, nourrit sa soif d’absolu. Mais il s’agit aussi pour elle de panser sa souffrance d’éternelle endeuillée, par une sagesse qui se rit de la mort. Et puisque le soufisme est, par excellence, la mystique privilégiée du petit peuple, des pauvres, des démunis, elle s’applique dans ses écrits à dépeindre l’existence des plus défavorisés. Les femmes essentiellement, maltraitées, mariées de force, empêchées d’aimer. La magie du désert ne l’aveugle pas sur le réel. Elle reste une vagabonde, une errante, que rien, dans le fond, ne saurait satisfaire durablement, sauf peut-être l’écriture. « Il n’y a qu’une chose qui puisse m’aider à passer les quelques années de vie terrestre qui me sont destinées : la littérature. » (Lettres et Journaliers).
Le désir comme guide
« Il faut apprendre à sentir plus profondément, à mieux voir et, surtout, encore et encore, à penser. » (Lettres et Journaliers). A une époque où il est de bon ton de suivre une destinée déterminée par son milieu social et familial, Isabelle Eberhardt détonne. Ses idéaux sont étonnamment actuels : s’épanouir, devenir ce qu’elle se sent être intérieurement. Elle transgresse les limites, à commencer par celle, universelle, qui interdit d’être à la fois homme et femme. Elle se fait appeler Si Mahmoud Saadi et, dans la peau de ce personnage, se transforme en Bédouin mâchouillant sa chique. Slimane Ehni, l’homme de sa vie, avait coutume de la présenter ainsi : « Voici mon compagnon Mahmoud et ma femme Isabelle. » Après sa mort, le général Lyautey – futur maréchal de France – a pu dire : « Elle était ce qui m’attire le plus au monde : une réfractaire. Trouver quelqu’un qui est vraiment soi […] et qui passe à travers la vie, aussi libérée de tout que l’oiseau dans l’espace, quel régal… » Périr noyée à 27 ans en plein désert : quelle fin paradoxale, mais tellement digne d’elle. Sur sa tombe à Aïn Sefra (Algérie), il est écrit : Isabelle Eberhardt, écrivain, Mahmoud Saadi, baroudeur mystique du Sahara.

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