La délation, un nouveau devoir civique ?

safir97

DZSatien Passionné
Inscrit
13/2/08
Messages
430
[h=2]LA DÉLATION, UN NOUVEAU DEVOIR CIVIQUE ?[/h]
Avec les nouvelles technologies, la délation citoyenne se développe. Il n’est plus forcément nécessaire de se déplacer pour dénoncer son employeur, son voisin ou une personne jugée « suspecte ». Des plateformes destinées à cette fonctionnalité voient notamment le jour en France et à l’étranger.


Lorsque l’on parle de délation, les Français associent ça au régime de Vichy. Aujourd’hui, elle existe toujours sous une forme moins extrême, plus minoritaire, mais continue d’alimenter le débat.
Depuis quelques années, l’initiative « Voisins vigilants » se répand progressivement sur tout le territoire français. Importé des États-Unis, ce programme a pour objectif de faciliter le travail des forces de l’ordre en les prévenant d’un comportement suspect. Il est donc demandé aux citoyens d’observer les faits et gestes des gens sur la voie publique. Si le but est en soi louable – cela peut réduire le nombre de cambriolages par exemple – il peut mener à des dérives, et notamment à des délits de faciès. Sur son site, le Parti de gauche qualifie justement cette pratique de délation. Il y voit une initiative non fraternelle, « contraire aux principes républicains ».


A une autre dimension, pour dénoncer des comportements jugés indésirables, une application avait été lancée en 2012, et a depuis cessé toute activité. Nommée « Observer la loi », elle répertoriait des « incivilités » : fumeurs dans les lieux publics, voitures mal stationnées, tapage nocturne ou port de voile intégral. Sous forme de carte, l’application géolocalisait les personnes accusées d’un des critères énoncés précédemment. Un objectif tout droit sorti du roman1984 de Georges Orwell, à une différence près : ce sont désormais vos concitoyens qui vous surveillent.


En parallèle, un projet de loi est prévu dans le domaine des fraudes fiscales. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, a annoncé il y a quelques mois vouloir rémunérer les personnes dénonçant des actes frauduleux au Fisc. Si ce sont les grands scandales financiers qui sont davantage visés, les personnes dénonçant des travailleurs au noir ou des fraudes aux impôts pourraient tout de même toucher leur part du gâteau. Pour Michel Sapin, il n’est pas question que « chaque voisin se considère comme l’aviseur de ce qui se passe chez sa voisine » alors que le député socialiste Yann Galut met en avant qu’ « encourager les personnes à déclarer contre rémunération, c’est prendre le risque de créer de fausses alertes ».


[h=2]L’Europe se met à la dénonciation numérique[/h]Au mois d’octobre 2015, la Belgique a fait un premier pas vers l’informatisation des dénonciations, qu’il était déjà possible de faire par téléphone ou de visu. Le gouvernement belge a créé un site internet où chaque personne peut rapidement dénoncer une fraude sociale. Comme en France, l’objectif est de limiter des actions comme les salaires impayés, le travail au noir ou encore la fraude aux allocations. La facilité d’utilisation de la plateforme pourrait accroître le nombre de dénonciations, qui s’élève déjà à 13 000 par an en Belgique.


A cette occasion, RTL Belgique publiait la réaction de l’avocat et président de la Ligue des droits de l’homme, Alexis Deswaef, qui soulève un autre problème : « Nous nous demandons : quelle société est-ce que l’on veut ? On parle beaucoup de vivre-ensemble. Là, ce sont des initiatives qui poussent à la méfiance. On va se méfier même de son voisin. »


En Allemagne, des sites ont été instaurés dans certaines villes. Leur objectif est que chacun puisse pointer du doigt des dysfonctionnements et dénoncer un délit qu’il a observé. La municipalité de Friedrichshafen a créé un site ayant pour but d’améliorer la vie quotidienne de ses habitants. Ces derniers peuvent signaler des problèmes dans les domaines de la voirie ou de l’éclairage par exemple, mais on y trouve également certains messages identifiant directement une entreprise ou le comportement d’usagers à certains endroits. Ici, la limite entre acte citoyen et délation est parfois fine.




Capture d’écran du site géré par la municipalité de Friedrichshafen
[h=2]
Un phénomène exacerbé après les attentats
[/h]

Retour en France. Après des attaques terroristes et en plein état d’urgence, la méfiance semble aujourd’hui omniprésente. Depuis le mois de novembre, 3189 perquisitions, 541 saisies d’armes et 406 assignations à résidence ont été comptabilisées. Une partie de ces enquêtes ont démarré par le signalement de comportements suspects par le voisinage ou l’entourage des personnes mises en cause.


Le blog du Monde « Vu de l’intérieur » met justement en avant des situations de personnes ayant été perquisitionnées, comme celle de Karim, assigné à résidence, notamment après que ces voisins aient rapporté aux autorités qu’il était extrémiste, à tord. Cette délation, ayant certes pour but de protéger le pays d’une possible menace terroriste, a un fort impact sur la vie quotidienne d’innocents pris pour cible. Avec une paranoïa alimentée par un racisme croissant et une peur de l’Autre, la délation est-elle une bonne solution dans le pays des droits de l’Homme ?


Ces situations mettent en avant une autre problématique. On peut finalement dénoncer quelqu’un qui n’a rien fait. Les dénonciations peuvent être anonymes tout en étant recevables, selon un arrêt de la Cour de cassation pris en 2007. La majorité des dénonciations, principalement dans le secteur des fraudes fiscales, sont ainsi motivées par un besoin de vengeance ou un intérêt personnel quelconque. Finalement, d’acte citoyen à délation, il n’y a qu’un pas.


 
Retour
Haut