Salah Guemriche : « Aujourd'hui, Meursault est mort. Dialogue avec Albert Camus »

zadhand

DZSatien Légendaire
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Dialogue entre un Camusien délicat et le philosophe français
« Aujourd'hui, Meursault est mort »


liberte-algerie
le 22-03-2017 12:00
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Le fils de « l'Arabe » et Albert Camus vont se revoir et, lors de leurs rendez-vous « fraternels », discuter de la question algérienne.
L’essai- fiction « Aujourd'hui, Meursault est mort. Dialogue avec Albert Camus » de Salah Guemriche (*), publié en e-book en juin 2013 (bien avant la sortie du livre de Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête aux éditions Barzakh, en octobre 2013, et chez Actes Sud, en mai 2014), vient d’être édité par la maison d’édition Frantz Fanon, en Algérie. « Si j’ai fini par répondre au souhait du directeur des éditions Frantz-Fanon, en signant le contrat proposé, c’est d’abord, je l'avoue, pour le nom symbolique de la maison d'édition. Et par fidélité à mes souvenirs de jeunesse, d’une jeunesse animée d’un romantisme révolutionnaire désuet », écrit l’ancien journaliste sur son blog. Ce dernier révèle dans sa note au lecteur que dès mars 2013, c’est-à-dire bien avant la publication numérique, son manuscrit a été transmis à 4 éditeurs français : l’un a jugé le texte « trop algéro-algérien », le second « bon pour un lectorat camusien », le troisième « inclassable » et le dernier a accepté de le publier en septembre 2013, en l’accompagnant d’une « clause du contrat » qui ne convenait pas à l’auteur. Faisant référence au courant littéraire « néo-algérianiste », Guemriche signale que son livre est incompatible avec « l’unanimité qui s’est faite en France, depuis la ‘’décennie noire’’ autour d’un Camus qui, s’agissant de l’Algérie, ‘’aurait eu raison avant tout le monde’’ ».
« Quelque chose a du sens, enfin, que nous devons conquérir sur le non-sens »
L’essai- fiction de Salah Guemriche apparaît comme une sorte de réaction/continuité de « L’Étranger » (1942), le premier roman d’Albert Camus, qui met en scène un personnage-narrateur nommé Meursault, vivant à Alger, pendant la colonisation française : alors qu’il vient d’enterrer sa mère, Meursault tue un indigène, désigné sous le seul vocable de « l’Arabe », de cinq coups de feu. Dans « Aujourd'hui, Meursault est mort », le romancier engage un dialogue avec le philosophe- écrivain français, qu’il appelle « Monsieur Albert », en se confondant avec son personnage Tal Mudarab, le fils de « l'Arabe », né à Guelma comme lui, afin de découvrir avec Camus que « Quelque chose a du sens, enfin, que nous devons conquérir sur le non-sens » - une phrase tirée de « L'Homme révolté » de Camus. Pour écrire les quatre parties de son « roman- essai », Guemriche se lance dans l’investigation, remontant le temps et plongeant dans l’univers camusien : (re) visite des ouvrages de l’écrivain français (La chute, La peste, L’homme révolté, L’été, L’envers et l’endroit, etc.), ainsi que des œuvres des autres auteurs (Frantz-Fanon, Woodbridge Strong Van Dyke, Assia Djebar, Louis Ferdinand Céline, Michel Onfray, Alice Kaplan, Edward W. Saïd, André Blanchet, Louis-Jean Calvet, Jean Amrouche, Germaine Tillion, Albert Memmi, Robert F. Aldrich, Jean-Paul Sartre, Mouloud Feraoun…), analyse de ses positions, lecture des journaux et revues actuels ou de l’époque, celle des lettres, discours et déclarations de Camus et d’anciens hauts responsables français. Salah Guemriche nous offre là un écrit d’une grande qualité littéraire, soutenu par une documentation très fouillée. L’histoire commence le jour de l’exécution de Meursault. Ce jour-là, Tal Mudarab et Camus se rencontrent. « Meursault n’a pas tué un Arabe anonyme, sans nom et sans visage, il a tué mon père », dit ce dernier à l’homme au chapeau et au « mégot baladeur ». Le jeune Belcourtois et Monsieur Albert vont se revoir et, lors de leurs rendez-vous « fraternels », discuter de la question algérienne. Notons au passage que Salah Guemriche s’exprime sur cette « littérature d’urgence » ou « littérature néo-algérianiste », faisant dire à son personnage que « depuis quelques années, au pays de Voltaire, toute littérature de blédard ne mérite lauriers qu’en fonction de son degré d’adhésion, voire d’allégeance, à l’air du temps ». Une littérature, soutient-il, qu’Albert Camus, avec son « code de l’honneur », n’aurait « jamais cautionnée ». Il laisse parler Mudarab (l’Initié) sur le football au Racing universitaire algérois (RUA), sur les Français d’Algérie, sur cette manie qu’a Camus de parler des indigènes en disant « les Arabes » au lieu des « Algériens », sur la « violence » qui a commencé en 1830 et non pas en 1954, « avec son cortège d’expropriations, d’humiliations, de déshumanisation », sur le référendum d’autodétermination et la question de la « repentance », sur la lutte des indépendantistes, sur « l’idéologie coloniale (qui) continue à occuper les esprits tout comme elle occupe les dictionnaires », sur Kafka, Jean-Paul Sartre, André Rossfelder, Guy Pervillé, André Maurois, Francis Jeanson, Nelson Mandela, Albert Memmi, Kateb Yacine, Jean Amrouche, Rachid Boudjedra, Mouloud Feraoun, les Racim, Ahmed Zabana, sur le cardinal Duval, sur bien d’autres personnalités et bien d’autres sujets. Guemriche/ Mudarab s’explique même sur les « supercheries » dont est victime l’Algérie, « depuis le décret Crémieux jusqu’à la concorde nationale ».

Profond malaise devant l’effraction coloniale
« Pour tenter d’approcher la vérité, de comprendre le vrai Camus, Salah Guemriche va le rejoindre sur son terrain, l’affrontant loyalement avec ses propres armes », relève Emmanuelle Caminade, dans la préface (il s’agit en fait d’un article publié dans La Cause littéraire, le 25 septembre 2013). Cette dernière avoue que la question algérienne, « refoulée » dans l’œuvre de l’écrivain français est « encore largement taboue » dans sa société, en rappelant à ce propos que dans les années 1990, Albert Camus semblait devenu « une icône intouchable, l’image d’un Juste au-dessus de la mêlée ayant gardé les mains pures, d’un parangon de la lucidité ». Pour la critique française, l’exploitation, par Guemriche, de la technique du « dialogue implicite » si cher à Camus, « donne une existence et le droit (à Tal Mudarab et à son créateur, ndlr) de demander des comptes au créateur de Meursault, l’assassin de son père ». Plus encore, l’auteur de « Aujourd'hui, Meursault est mort » place le tête-à-tête avec Camus sur « le terrain universel de l’humanité » et parvient avec brio à mettre celui-ci « face à ses contradictions et ses ambiguïtés, à ses tergiversations et à ses ‘’ses déclarations en dents de scie’’ », montrant « le profond malaise d’un homme déchiré » devant « l’effraction coloniale ». Le roman de Guemriche, constate Emmanuelle Caminade, est « un livre dérangeant et salutaire », en notant que l’auteur, « levant l’immunité dont jouit Albert Camus, exerce son légitime droit d’inventaire », pour y montrer un Camus « dans toute sa vérité », avec « ses doutes et ses limites », avec « son orgueil » et « sa sincérité » : en fin de compte un homme « ni vraiment solitaire, ni pleinement solidaire ». D’ailleurs, poursuit la critique littéraire, Camus doutait lui-même quant à sa « clairvoyance » concernant son pays natal, l’Algérie. De son côté, Jean-Yves Guérin, écrivain et professeur de littérature à la Sorbonne, rappelle dans la présentation du livre de Salah Guemriche que l’œuvre de Camus « n’est pas un temple qui aurait ses gardiens ». « Faire de Camus un héros ou un saint, même laïque, c’est oublier qu’il fut l’homme du doute, de l’inquiétude, de l’incertitude », écrit-il, tout en observant que le « plébiscite mondial ne vaut pas canonisation » et que « l’esprit critique doit garder ses droits ». L’auteur de « Albert Camus, littérature et politique », qui a dirigé le « Dictionnaire Albert Camus » (2009), relève concernant Guemriche que celui-ci, par « un jeu de citations », par ses digressions et divagations « calculées », par la rencontre de Camus et ses personnages, nous fait découvrir « un Camus autre ou un autre Camus », voire le « vrai Camus, pas l’icône construite par ses hagiographes pressés ou intéressés ».
Le livre se termine sur ces dernières paroles du fils de « l’Arabe », destinées évidemment au créateur de Meursault : « Quant à votre ‘’meurtrier délicat’’, (…) on ne peut pas se poser en agneau alors que l’on a du sang sur les mains. On ne peut pas non plus, et c’est un Camusien délicat qui vous le dit, se poser en théoricien de l’absurde et du non-sens, alors que l’on a du sens, beaucoup de sens sur les mains. » Un roman à ne pas rater !

Hafida Ameyar
Salah Guemriche, « Aujourd'hui, Meursault est mort. Dialogue avec Albert Camus », éditions Frantz Fanon, Algérie 2017, 210 pages, 700 DA.

Bio expresse :
Salah Guemriche, essayiste et romancier, est né en 1946 à Guelma (Algérie) et vit en France depuis 1976. Il a collaboré à divers journaux et revues, à l’étranger, dont Libération, Jeune Afrique, Paroles et musique, Le Monde, Courrier de l'Unesco, Notre Librairie, Le Nouveau Quotidien de Lausanne, Le Soleil (Québec). En Algérie, il a collaboré notamment à El-Watan, Le Matin et Liberté. Guemriche est l’auteur d’une douzaine d’ouvrages, parmi lesquels : Dictionnaire des mots français d’origine arabe (Seuil 2007, Points 2012 et 2015) ; Alger la Blanche, biographies d’une ville (Perrin, 2012) ; Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou (Denoël, 2010) ; Abd er-Rahman contre Charles Martel (Perrin, 2011) ; Un été sans juillet- Algérie 1962, roman (Le Cherche-Midi, 2004) ; L’homme de la première phrase, roman (Rivages/ Noir, 2000).



H. A

NB : désolé s'il est au mauvais endroit je ne trouve pas la Catégorie "Culture" adéquate






 
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