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BANNI
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Pep Guardiola exhala une longue bouffée d’air, puis roula des yeux. Il pouvait à peine croire que quelqu’un puisse être stupide au point de penser autrement.
« Mais, s’exclama le manager de Barcelone en levant la tête et en regardant le journaliste droit dans les yeux avec un air incrédule gravé sur son visage, qui est plus complet que Messi ? »
Pour la plupart la réponse était évidente : Cristiano Ronaldo.
De même que le vert, le bleu, le rouge ou une quelconque autre couleur à la mode cette saison, « complet » a été désigné comme le nouveau critère du « meilleur ». Complet est un ersatz de superlatif, la dernière tactique, une part de dextérité discursive dans l’ennuyeux débat concernant Messi et Ronaldo – présenté comme une sorte de fait incontestable. C’était comme si ceux qui préférait Ronaldo (et il n’y a aucun mal à voir là dedans ; il est sans aucun doute un excellent footballeur) viennent de réaliser qu’ils étaient engagés dans une bataille perdue d’avance, celle de nommer « le meilleur joueur du monde ». Alors au lieu de continuer à se battre dans ce cadre du débat, ils se sont accrochés à quelque chose d’autre, quelque chose qui a l’air plus objectif : Il est plus complet que Messi.
Vous penserez peut-être que même si Messi est le meilleur joueur du monde, Ronaldo est le joueur le plus complet du monde, ce qui semble plus important… Faites une liste des attributs footballistiques et vous verrez pourquoi. Ronaldo peut, en gros, faire plus que Lionel Messi.
L’année dernière Marca avait fait une radiographie de Messi et de Ronaldo, en affublant cette enquête du nom d'un département médical, le tabloïd a essayé de lui donner un pseudo air scientifique, le format étant désigné pour l’imprégner d’une touche objective.
Maintenant, considérons pendant un instant qu’il n’y ait rien de suspicieux dans ce rapport – malgré le fait qu’il fut élaboré par le média pro-madrilène Marca, un journal qui n’a de cesse de chanter les louanges, au point de béatifier Ronaldo, malgré le fait que Messi joue au Barça et Ronaldo à Madrid, et malgré le fait que l’article soit rédigé par un journaliste basé à Madrid qui venait de signer un contrat avec le Real afin d’écrire une série de glorieuses biographies des joueurs de ce même club, en commençant par Ronaldo. Considérons aussi que l’auteur, Enrique Ortego, avait raison en commençant son article par le préambule « Messi est surcoté parce qu’il joue au Barça – le gars au bon endroit et au bon moment. » Considérons qu’il ait raison aussi de dire que la preuve de cet opportunisme et qu’il est minable avec sa sélection (ndlr. L’Argentine) alors que de son côté Ronaldo est flamboyant avec la sienne (ndlr. Le Portugal). Considérons qu’il ait aussi raison en déclarant que « Ronaldo peut jouer partout –à Manchester United, Madrid ou en sélection—et qu’il n’est pas aussi dépendant de ses coéquipiers que l’argentin. » Considérons tout cela véridique et voyons ce qu’Ortego va nous dire.
Après l’analyse de 10 qualités, toutes notées sur 10, le rapport conclut donc, en titre du tabloïd Marca que : « RONALDO EST PLUS COMPLET QUE MESSI. » Il bat Messi sur le plan de la condition physique, sur la vitesse, la puissance de frappe, le jeu de tête, le leadership et les coups de pieds arrêtés (coup-francs et penalty inclus), a reçu la même note en technique et en passe, et fut seulement devancé en terme de jeu collectif et de dribble. En d’autres termes, le rapport a essentiellement publié une version des arguments maintes fois utilisés dans la défense de Ronaldo.
Mais est-ce que c’est vrai ? Est-ce que toute analyse basée sur un empilement de notes peut être vraiment arbitraire et fiable ? Est-ce que l’on peut juger des joueurs à partir d’une liste de caractéristiques précises, comme si le football était comme un jeu de carte Pokémon ? Et est-ce que l’échelle qui va de 1 à 10 est une échelle suffisante pour distinguer toutes les nuances de qualités chez les footballeurs ? Si oui, alors on peut. Mais même si la méthodologie est bonne, êtes-vous d’accord avec les jugements exercés ?
Est-ce que Ronaldo est vraiment meilleur que Messi dans le leadership ? Et par deux points d’écart ? (En fait comment il fait pour mesurer le leadership ? En l’intensifiant quand l’enjeu en vaut la chandelle ? En refusant de s’effacer lors d’un match ? En faisant le bon geste au bon moment ? En faisant de grandes performances lors des grands matchs ? Des grands matchs comme le dernier Clasico ? Ou tout les autres Clasicos auparavant ? Ou en finale de Coupe du Roi ? Ou celle de la Ligue des Champions ? Est-ce que Ronaldo a fait une seule de ces choses alors que Messi non ?)
Balle au pied, Ronaldo va-t-il vraiment plus vite que Messi ? Ou est-il plus rapide sans ?
Est-ce que sa technique est vraiment aussi bonne que celle de Messi ?
Est-il aussi bon dans l’exercice de la passe ?
Est-t-il plus adroit face au but ?
Statistiquement, la réponse est claire pour la dernière question : « non. » Cette saison, Ronaldo a tiré plus de fois au but que Messi : seulement 16% ont été gratifiés d’un but, contre 25% pour Messi, alors que seulement 38% de ses frappes ont été cadrées contre 52% pour Messi.
En termes de ratio but/temps de jeu, Messi a marqué plus – et il marque plus à l’extérieur qu’à domicile, là, où en théorie il est plus difficile de s’imposer.
Par sept fois Messi a été l’origine de l’ouverture du score contre deux fois pour Ronaldo. Il n’a tiré aucun penalty alors que Ronaldo en a tiré déjà quatre.
Ah, mais certains d’entre vous vont me dire que Ronaldo est meilleur artilleur de loin alors que Messi est un faiblard en dehors de la surface, ce qui est loin d’être vrai : Messi a marqué trois fois depuis l’extérieur de la surface, le même nombre que celui de Ronaldo avec seulement le quart du nombre de tirs du portugais à mi-distance.
Bref, retournons à la radiographie. Même si Ronaldo est meilleur dans ces catégories, regardez à nouveau cette liste. Jetez un œil à la catégorie qui permet à Ronaldo de se faufiler –objectivement bien sûr…-- à la place du joueur le plus complet. Les penalties et coup francs sont aussi importants que la finition. Les dribbles et les passes… Ah ! Il y a l’aspect physique, la vitesse et le jeu de tête. C’est un choix intéressant de catégories, apparemment choisies dans un but spécifique.
En effet, « l’analyse » de Marca rappelle une parodie de comparaison menée par le magazine comique britannique Viz qui avait toujours tendance à créer des résultats fictifs. Une sorte de « Qui est le meilleur ? Michael : Jackson ou Crawford ? » avec en dernière catégorie, l’habilité à faire un Moonwalk. Marca aurait aussi bien pu ajouter comme critère « l’habilité à être portugais. »
Peut-être que nous ne devrions pas regarder cette analyse avec objectivité après tout. Mais même si les catégories n’ont pas été dûment choisies pour faire basculer les résultats en la faveur de Ronaldo, il y a toujours quelque chose de choquant en elles. La condition physique, la vitesse, le jeu de tête – ne sont-elles pas toute dérivées d’une seule et même chose ? Et quand d’autres soutiennent que Ronaldo est plus complet, cette liste de caractéristiques apparentées ne cesse de croître. Il est, disent-ils, plus rapide, plus fort, plus puissant. Il frappe la balle avec plus d’ardeur, court plus, saute plus haut. Plus rapide, plus puissant, plus haut – où avons-nous déjà entendu cela ? N’est-ce pas une catégorie appelée : l’athlétisme ? Usain Bolt aussi est meilleur athlète que Lionel Messi.
L’un dans l’autre, n’est-ce pas une interprétation de travers de ce que peuvent être les attributs footballistiques, une interprétation partiale et une appréciation partisane de ce que peut comporter le jeu d’un joueur ? Cela ne reflète-t-il pas une obsession particulière sur le plan physique du jeu qui néglige délibérément tout ce qu’est le sport que l’on appelle football ? Il n’y a rien d’anormal à préférer Ronaldo. Il n’y a rien d’incorrect à croire que c’est un meilleur joueur. Mais l’argument refuge à la mode n’est en fait pas du tout un refuge. L’étude « objective » ne résiste pas un simple examen de routine.
Ronaldo et Messi semblent s’égaler en tout point cette saison. Leur statistique de but par exemple est tout simplement affolante. Mais ce n’est pas juste une question de buts. Et limiter les attributs de ce sport à des critères purement physiques est totalement absurde. Qu’en est-il du contrôle du jeu ? Donner des passes décisives est devenu désuet ? La vision du jeu est optionnelle ? La précision de jeu est négligeable ? L’efficacité dans le jeu est devenue décorative ? Et qu’en est-il de la conscience tactique et de la prise de décision ? Quelle importance accorde-t-ton à la polyvalence et à l’influence d’un joueur ?
C’est là que Guardiola voulait en venir. C’était un lundi soir et Messi avait juste joué contre le Real de Madrid. Il n’a pas fait un de ses dribbles dont il a le secret. Il n’a pas marqué – pour la première fois en 10 matchs. Des qualités que le public a tendance à lui associer, il n’en a montré aucune – points forts qu’il sait si bien mettre en évidence que ses autres qualités, plus prosaïques, ont été complétement négligées. Il n’a ni marqué ni effectué de dribbles fantastiques.
Et pourtant il a toujours été sensationnel.
Et pourtant, son équipe s’est imposée sur le score de 5-0 (spécial manita).
Et pourtant il a été au cœur de tout ça, en contrôlant le flux du jeu, en maîtrisant le jeu de passe, en dominant tout simplement son adversaire. En fournissant deux passes décisives d’une précision xaviesque (ndlr. Nano-chirurgicale) dans sa feuille de match, dont une deuxième qui dépasse le simple critère de magnifique. Messi a été le footballeur le plus complet. Il a joué aux avant-postes – en touchant le montant d’un lob somptueux --, il a travaillé au milieu de terrain et il a débordé sur son côté droit. Sa prestation était tout simplement complète.
« Ce n’est pas une simple question de marquer des buts, dit Guardiola, Messi est le joueur le plus complet de la planète. Il peut tout faire : il joue avec ses partenaires, combine avec eux, et leur offre des espaces. »
Bien sûr que Guardiola dira cela… Mais il n’a pas tort.
C’est vrai que ce qui fait de Messi un joueur sortant de l’ordinaire sont ses compétences premières. Il a un nombre effrayant de buts – 70 buts en 72 matchs. Il a aussi surpassé Ronaldo en terme de dribbles en réussissant 50 de ses tentatives contre 30 pour le portugais. Mais ce sont les autres choses qui font de lui le meilleur joueur du monde : toutes ces autres choses. C’est le fait qu'à côté de ses actions extraordinaires malgré les préjugés ambiants, l'argentin effectue aussi les gestes les plus simples et les plus efficaces. En gros, Messi sait jouer. Lorsque Ronaldo aura perdu ses qualités d’athlète, il aura probablement perdu tout ce qui faisait de lui un footballeur. Mais Messi perdura dans le temps.
Ce lundi n’était pas un événement unique. Si vous tenez tellement à faire une liste, essayez d’en faire une qui ne soit pas basée sur des attributs notés, mais sur des statistiques actuelles. Cette saison, Messi a fait 27 passes cruciales, 7 se sont muées en passes décisives. Ronaldo en a fait 22 dont 4 se sont soldées par un but. Messi marque un but toutes les 105 minutes alors que Ronaldo doit attendre 307 minutes pour en marquer un. Messi a réussi 590 passes alors que Ronaldo en a réussi 429. Messi a raté 105 passes alors que Ronaldo s’est troué sur 159 des siennes. Messi perd beaucoup moins de ballons. Ronaldo a centré 45 fois dans la surface alors que Messi a centré plus de 64 fois de son côté. De ses centres, Ronaldo a trouvé 4 fois ses partenaires, alors que Messi les a trouvé plus de 60 fois…
Au total, Messi a fait 695 passes et en a réussi 590, Ronaldo en a tenté 588 et en a réussi 429. Messi est impliqué partout sur le terrain ; son « terrain d’action » est beaucoup plus varié. Il se trouve plus souvent au sein des actions collectives, commence plus d’actions offensives et totalise un nombre « d’actions » dans le jeu, plus important que celui de Ronaldo. Et en ce qui concerne cette qualité souvent louée que l’on appelle la combativité, le stéréotype des « cojones » si cher à nos commentateurs anglo-saxons : Messi a fait plus de fautes, a volé et intercepté plus de ballons que Ronaldo.